Mar 3
L’île aux étoiles de Tycho
Peinture à l’huile d’Edouard Ender (1855) montrant Tycho Brahe (debout, la main sur un globe) expliquant à Prague en 1600 le globe céleste à l’empereur Rodolphe II (assis, tenant une palette de peintre à la main) (The Museum of the History of Science, Oxford). Sur la droite de la peinture se trouve un grand sextant fabriqué par Erasmus Habermel (1538-1606) (voir LI #87) ainsi qu’un second qui est l’uvre de Joost Bürgi (1582-1632) connu sous le nom de sextant de Kepler -, manipulé par un assistant plongé dans l’ombre, peut-être je jeune Kepler ? Les deux sextants ont été fabriqués en 1600 et ont une précision de 2′ d’arc. Ils sont exposés au Musée Technique National de Prague.
Durant plus de 1 300 ans la précision des observations de positions reste pratiquement inchangée entre le catalogue de Ptolémée, donné pour l’année 137, et celui d’Ulugh Beg (1393-1449) pour l’année 1437. Ulugh Beg avait élevé un observatoire en 1420 sur une colline de Samarkand. Son catalogue comporte 1018 entrées et a une précision de l’ordre de 20ʹ.
Le renouveau vient au siècle suivant du pays d’Hamlet en la personne de Tycho Brahé (1546-1601). Tout comme Hipparque, c’est une étoile nouvelle apparue dans le ciel de novembre 1572 qui va définitivement décider Tycho à se doter de tous les moyens nécessaires pour parfaire la connaissance des cieux. Quelques années plus tard, Il obtient du roi Frédéric II du Danemark une île, l’île de Hven (Venus), pour y implanter un vaste et gracieux château-observatoire entièrement voué aux cieux : Uraniborg. Dans sa bibliothèque, il grave les positions des étoiles qu’il mesure, minutieusement et patiemment, 25 ans durant, sur un grand globe céleste de 1m60 de diamètre. Il disposait d’un grand quadrant de bronze de 4m50 de diamètre fixé au mur (sa précision a été estimée en 1978 à 34,6ʺ). Ses instrume nts, tous construits à Uraniborg, sont des sextants, quadrants et autres armilles équatoriales. Il ne néglige aucun détail pour s’assurer la meilleure précision possible : Il met en pratique le premier laméthode des transversales dont le principe avait été énoncé par Levi Ben Gerson (1288-1344) – pour diviser les arcs de tous ses instruments en intervalles valant une minute d’angle ; Il améliore la technique de visée astronomique à l’aide de pinnules ; Il s’attaque à toutes les sources d’erreur et d’approximation : collimation, instruments enterrés pour les rendre insensibles au vent, réfraction (Brahé supposait une réfraction nulle pour les étoiles au-dessus de 20° de hauteur et pour le Soleil au-dessus de 45°)
Sa nouvelle carte du firmament comporte 1 004 étoiles fixes (dont 777 localisée exactement, et le reste ajouté en hâte pour faire un chiffre rond avant le départ d’Uraniborg en 1597 pour Prague où il deviendra le mathématicien Impérial à la cour de l’empereur Rodolphe II). Une version imprimée des 777 positions précises parait en 1602 puis Kepler (1571-1630), son prolifique élève, éditera le catalogue complet des 1004 étoiles en 1627. La précision de son catalogue est de l’ordre de 2ʹ jusqu’à la magnitude 3 ; environ 15% des entrées, constituées des étoiles les plus faibles jusqu’à la magnitude 6, atteignent une précision de 10ʹ (Pour Tycho, qui observait à l’il nu – la lunette n’apparut qu’au siècle suivant (voir LI #45) – la < i>magnitude se ramenait réellement à la grandeur de l’étoile : Ainsi les étoiles de 1ere magnitude avaient un diamètre apparent de 120ʺ, 90ʺ pour les secondes, 65ʺ pour les troisièmes, 45ʺ pour les quatrièmes, 30ʺ pour les cinquièmes et 20ʺ pour les sixièmes).
Grâce à cette longue suite d’observations, Tycho remesure la vitesse de précession des équinoxes (voir LI #87) qu’il trouve égale à 51ʺ par an, valeur qu’il adopte pour ses tables de précession accompagnant son catalogue d’étoile. Au passage, il démontre l’inanité de la trépidation qu’il prouve provenir entièrement d’erreurs d’observation (système inventé par Thābit ibn Qurra (824-901) à Bagdad pour expliquer une supposée variation annuelle de la précession. Cette théorie, présente dans les tables alfonsines publiées en 1252, était encore universellement adoptée au temps de Tycho ; Copernic y croyait également). L’un des seuls paramètres fondamentaux qu’il ne redétermine pas est la parallaxe solaire – angle sous lequel est vu le rayon de l’orbite terrestre, c’est une manière d’exprimer la distance Terre-Soleil, la parallaxe solaire est en réalité de 8,79ʺ – pour laquelle il adopte la valeur de Ptolémée qui était déjà celle d’Aristarque de Samos au IVe siècle av. J.-C., soit 3ʹ. Dans une lettre à Kepler datée du 1er avril 1598, il écrit que l’orbite annuelle de la Terre (selon Copernic) ou l’épicycle de Mars (selon Ptolémée) semble varier en taille. C’est le premier pas vers la découverte de l’ellipticité des orbites par Kepler (Astronomia Nova, 1609, voir LI #47) qui sonnera comme le coup de grâce donné au dogme cosmographique des orbites circulaires.
Ses observations très précises des corps célestes étoiles, planètes, comètes aboutiront à briser les orbes solides, à abolir l’immuabilité de la zone supra lunaire, à ouvrir la voie vers la vraie forme des orbites. Sa révolution dans la méthode astronomique, c’est la précision jusqu’alors inégalée et la continuité des observations.
A retenir : précision du catalogue de Tycho Brahé : 2ʹ, soit l’équivalent sur la Lune d’un cratère d’environ 230 km de diamètre tel que le cratèreClavius, troisième plus grand cratère lunaire situé juste au sud-ouest du cratère Tycho !
source : imcce